Admirateur de l’Empereur depuis l’enfance, Éric Zemmour voit dans son épopée la dernière chance pour la France de redevenir une puissance mondiale de premier rang. Depuis, elle a perdu sa vocation et son destin. Alors que les élites ont saccagé l’héritage napoléonien, nous ne pouvons avoir qu’un projet défensif : refaire des Français par l’assimilation.

Causeur. Dans les pages autobiographiques de Destin français vous racontez comment, très jeune, vous avez préféré une biographie de Napoléon aux BD et autres lectures des gamins de l’époque. Pourquoi étiez-vous séduit ?

Éric Zemmour. Difficile de se souvenir après tant d’années… Enfant, j’aimais les héros de Dumas, les trois mousquetaires, Monte-Cristo, les personnages de Balzac comme Lucien de Rubempré… Je me suis plongé dans le roman historique et l’histoire romancée. Ma mère m’a offert pour mes 11 ans, le Napoléon d’André Castelot. Je l’ai gardé depuis avec sa belle couverture verte. Pour moi, Napoléon était aux frontières de la fiction et de la réalité, c’était le personnage le plus extraordinaire de notre histoire, le héros par excellence, le mètre étalon de tous les autres héros, ceux qui sont venus après lui mais – ce qui est encore plus extraordinaire – également ceux qui l’ont précédé. Au-delà du personnage et de son épopée, le premier Empire est le moment où la France a été la plus grande dans l’histoire. Jeune, j’étais déjà fasciné à la fois par le petit Corse qui devient empereur et par le moment, celui où la France est au sommet. Pour moi, Napoléon est un empereur romain. J’aurais aimé vivre à cette époque, je ne rêvais pas de pays étrangers et de contrées exotiques, ni d’espace et de science-fiction futuriste, mais de voyager dans le temps.

Y a-t-il eu d’autres moments napoléoniens dans votre vie ?

Depuis ces premiers émois napoléoniens, je ne l’ai plus quitté. Je n’ai pas cessé d’approfondir ma connaissance de ce personnage. Je lis encore régulièrement des livres, des biographies de ses contemporains – notamment de Talleyrand, de Fouché et des maréchaux –, des ouvrages sur les batailles. Je relis régulièrement les Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand, car le livre allie l’élégance du style et le récit de nos grandeurs. Avec le xviie siècle, pour la grandeur littéraire, artistique, Molière, Racine, Versailles, qui constituent la quintessence de la France, le premier Empire est mon moment français préféré. C’est celui où les Français sont vraiment sur le toit du monde. D’ailleurs, Stendhal dit en substance que les Français étaient alors fiers d’eux-mêmes, se sentaient supérieurs au reste de l’humanité, comme les Espagnols au temps de Charles Quint ou les Romains au temps de l’Empire romain. Je souffre beaucoup du déclin, qui a commencé après 1815.

Qui sont pour vous les meilleurs – militaires, ministres, hauts fonctionnaires – dans les équipes mises en place par Napoléon ?

Davout est mon préféré. Il n’a jamais perdu une bataille. S’il avait été présent à Waterloo… Talleyrand est le pire, le vrai traître.

Napoléon veut que la France reste une puissance globale capable de tenir tête à l’Angleterre

Selon vous, nous sommes sur le déclin depuis 1815. Diriez-vous que nous avons atteint le nadir ?

L’échec de la guerre de Sept Ans (1756-1763) est une véritable catastrophe qui en réalité explique la suite : nous avons perdu l’Amérique, nous avons laissé le monde nous échapper. Cela explique les guerres de la Révolution et de l’Empire. Les Français tentent de prendre leur revanche sur les Anglais pour l’hégémonie mondiale.

On fait de Napoléon un belliqueux alors qu’il ne fait qu’essayer de corriger la défaite subie par Louis XV en 1763 et de rattraper le coup terrible porté à la France par l’Angleterre. Celle-ci nous a déclaré une guerre pour l’hégémonie mondiale, à la fin du règne de Louis XIV, une seconde guerre de cent ans, de 1680 à 1815. Les guerres napoléoniennes ne sont qu’un épisode de ce conflit séculaire. En 1815, nous étions si puissants que l’Europe entière devait se mobiliser pour nous battre. Moins de soixante ans plus tard, en 1870, un pays tout seul, la Prusse, nous bat à plate couture en quelques mois. Encore sept décennies et en 1940, on se fait écraser par les Allemands en trois semaines. Huit décennies sont encore passées et aujourd’hui nous ne pouvons maîtriser ni notre population ni nos frontières et notre pays subit une islamisation d’une partie de notre territoire. Et en plus, nous nous sommes piégés dans un système européen dirigé par l’Allemagne.

Eric Zemmour ©Soleil